Assistants d’éducation : de la nécessité de résistances quotidiennes

J’ai été assistante d’éducation, en collège, pendant quatre ans. Cette expérience professionnelle ? par ce qu’elle engendre chez ceux qui la vivent, me passionne encore aujourd’hui. Je témoigne en proposant une analyse, à partir de ce que j’ai vécu et de ce que je peux observer aujourd’hui. Un Cdi peut être indispensable mais des résistances quotidiennes seront nécessaires !! Pour enfin révéler les problématiques institutionnelles qui se construisent bien en amont de la précarité statutaire.

Êtres assistante d’éducation : une expérience professionnelle parmi d’autres ?

Je ne trouvais tellement plus d’intérêt à aller en cours que j’ai arrêté à 16 ans (ce n’était pas réellement mon choix, en vrai je me suis fait virer).
Je me suis inscrite au Cned jusqu’à l’obtention du bac et en même temps j’étais serveuse. Franchement, je me suis épanouie dans ce boulot.
Puis je suis allée à la fac, pour mon loisir. Et en même temps je continuais les petits boulots, pour l’argent.

De petits boulots en petits boulots, je suis devenue assistante d’éducation. Ça a duré quatre années.
Cette expérience professionnelle m’a fait passer par plusieurs établissements et tellement d’états : la colère, le sentiment d’impuissance, l’épanouissement professionnel, une impression d’(in)utilité, le doute, la souffrance professionnelle, la révolte, le je-m’en-foutissme...

Finalement aujourd’hui cette expérience professionnelle dont beaucoup se foutent royalement, est devenue mon objet de recherche, parce que j’en suis convaincue qu il ne peut s’agir d’une expérience anodine.

Alors pour ma recherche, je discute avec des assistants d’éducation et j’essaie de faire entendre leurs voix !

Tu es Aed ! Mais de quoi te plains-tu ?

Vous connaissez certainement ce super contrat par lequel les assistants d’éducation sont embauchés.
Un contrat d’une année renouvelable, jusqu’à cinq fois. Tu peux être assistant d’éducation pendant six ans, maximum.
Mais bon, dans cette société régit par le chômage structurel de masse, tu devrais, toi assistant d’éducation, t’en réjouir !
Bah oui, quand même, il y a pire !
Ce n’est pas comme si, tous les ans, tu ne savais pas à quelle sauce tu seras mangé. Et puis, pendant un an tu es tranquille !
Oui, être assistant d’éducation c’est la planque, et ça, tout le monde le sait !
C’est vrai, ce n’est pas comme si, bien qu’à l’écart de cette grande institution, tu avais une fonction essentielle à l’organisation d’un établissement.

Alors ? Tu as compris ? Arrête de te plaindre ! Tu es, en fait, un précaire bien loti ! Si, ça existe !

Cet article s’arrêterait ici, si bien entendu les propos précédents n’étaient pas empreints d’une ironie certaine. Propos ironiques certes, mais pas sortis de nulle part.
Car c’est, malheureusement, ce qui se pense dans certaines sphères institutionnelles et dans certains hémisphères cérébraux. Mais ce n’est pas l’objet premier de cette analyse.

Des grèves dont tout le monde se fout !!

J’ai participé à plusieurs mouvements d’assistants d’éducation notamment celui qui a émergé durant le cadre de la contestation à la loi travail [1]. Et il me semble que c’est souvent la même chose.

En premier lieu on y dénonce la précarité de cet emploi avec les revendications qui vont avec. Cdi-sation ? Titularisation ? Prime Rep ? Etc... On fait un jour, deux jours, voire trois jours, parfois même une semaine de grève... Mais là c’est le summum.

Juste pour info, en terme d’effectifs, le 7 juin, nous étions une trentaine à manifester devant la Dsden de Bobigny [2], le 16 juin une vingtaine à essayer de manifester devant le ministère de l’Education Nationale.
Nous serions, environ, 1400 AED sur Paris et sa région [3] ! Ce qui ferait environ 1300 AED satisfaits de leurs conditions : j’ai du mal à y croire.

Et puis ça fait flop ! Alors on cherche ensemble des stratégies pour que ça ne fasse plus flop !
Mais ce n’est pas gagné, car généralement ça se passe selon le scénario suivant :

Des assistants d’éducation ne sont pas contents.
Ils s’organisent et essaient de mobiliser les collègues. Je vous passe les pressions mises en place sur les AED, par certains chefs d’établissements ou par certains CPE ainsi que les dires mensongers de la hiérarchie quant au droit de grève... Je vous les passe car vous ne me croiriez pas ! Bref !
Bon gré mal gré, des petits groupes se constituent ; le mouvement semble prendre forme (Paris, Marseille [4], Rennes... [5] on est 20, 30, 50, 300...).
À ce moment, on se dit : « C’est bon : ça va passer cette année ! ».
Or, la fin de l’année approche et c’est la période des renouvellements.
Donc on ne fait pas de vagues ! (Bah oui, parce que je vous rappelle que l’Aed n’a aucune raison de se plaindre !)
On se donne rendez-vous l’année prochaine en se disant « cette fois-ci ça sera la bonne !! »
Mais l’année suivante les équipes ont tourné, on a perdu des camarades motivés en cours de route. Et outre cette perte significative, les nouveaux sont en période d’essai. Alors on va attendre qu’eux aussi commencent à se fâcher...
Ça y est les périodes d’essai se terminent, et comme prévu des assistants d’éducation ne sont pas contents. Ils ont des revendications, ils s’organisent et essaient de mobiliser les collègues...
Ça y est, la boucle est bouclée !

Ne vous réjouissez pas trop vite, je n’ai aucune solution à apporter pour qu’une mobilisation aboutisse et qu’elle devienne enfin un véritable baroud !!

Mais étant une optimiste convaincue il y a deux nouvelles initiatives qui prennent forme :
  • un nouveau collectif de revendications qui se constitue depuis le mois d’octobre. Prochaine réunion jeudi 24 novembre [6]
  • une nouvelle association (Assistants-Éducation-Ensemble) qui crée du réseau et organise des temps d’échanges de pratiques professionnelles les premiers jeudis du mois. Prochain rendez-vous le 1er décembre. [7].

Alors, peut-être cette année sera la bonne !

Par contre je pense que la dénonciation, seule, de cette précarité contribue en quelque sorte à nous maintenir dans ce scénario !
Je m’explique.

La précarité camoufle des souffrances

Sans vouloir tomber dans le pathos et surtout pas dans la psychologisation des problèmes sociaux, je pense sincèrement, qu’en amont de cette précarité statutaire, se construit une souffrance qui mérite d’être explicitée.

Et ça, je le dis après de nombreuses discussions avec des assistants d’éducation. Moi aussi au départ, j’étais à fond sur cette question de la précarité. Mais au final, il a fallu que je m’attache véritablement et sincèrement à écouter ce que les assistants d’éducation avaient à dire. Et il s’est avéré que lorsqu’ils parlent de leur travail, cette précarité n’est pas la priorité de leurs critiques.

A cet instant, vous pensez peut-être que la souffrance dont je veux parler est une conséquence directe de la précarité statutaire. Mais, à mon sens, ce phénomène est à renverser. Car s’il était la simple conséquence d’un contrat précaire, alors transformer ce contrat à durée déterminée en durée indéterminée, résoudrait tous les maux.
Pourtant, de ce que j’ai pu entendre et de ce que je peux analyser aujourd’hui, aucune évidence d’un CDI salvateur n’apparaît !
Combien de personnes en CDI souffrent-elles d’une non-reconnaissance et encore de techniques managériales indécentes ?
Pour reprendre les mots des assistants d’éducation avec lesquels je discute, j’ai souvent entendu :

« Nous sommes le dernier maillon de la chaîne »
« Nous sommes au bas de l’échelle »
« Nous sommes la zone tampon de l’établissement »
« Nous sommes suspectés à priori de mal faire notre travail »
« Je ne me reconnais pas dans mon travail »

Des AED indispensables, mais à quelles fins ??

Les critiques sous-jacentes à ces extraits de récits recueillis, sont que les assistants d’éducation sont dans un entre-deux, qu’ils sont amenés à faire appliquer un règlement avec lequel ils ne partagent pas toujours l’origine arbitraire et qu’ils ne partagent pas, non plus, les méthodes éducatives de l’institution.

Ce qui est dénoncé, ici, c’es le fait que les assistants d’éducation n’ont pas le droit d’apporter un regard différent de celui que l’institution préconise, qu’ils n’ont pas le droit d’avoir des idées alternatives à la punition et à l’arbitraire...

Précisons que quand les assistants d’éducation se disent indispensables au fonctionnement de l’établissement, ce n’est pas une lubie qui comblerait un sentiment d’impuissance. Non, c’est une réalité ! Quand par exemple, et là c’est du vécu, des CPE interdisent pas tout simplement aux assistants d’éducation d’aller en formation parce que :

"Baaah comprenez bien ! Comment on va faire si vous n’êtes pas làààà ??"

C’est bien que sans assistants d’éducation plus rien ne fonctionne.
La vie scolaire est kaput ! Et là encore, je ne m’étendrai pas sur cette priorisation d’une gestion à court terme…

Dès lors, les questions qui se posent sont les suivantes :

  • À quel fonctionnement les Aed contribuent-ils ?
  • Quelles sont les valeurs de l’institution ?
  • Quelles sont les méthodes employées par l’institution scolaire ?
  • Et puis c’est quoi l’éducation ?

Faites ce boulot, ne serait-ce qu’un mois, et vous comprendrez que l’assistant d’éducation n’est pas là pour éduquer, contrairement à ce qu’on peut lui vendre lors de l’entretien d’embauche.
A propos du boulot, une assistante d’éducation a employé cette formule sans équivoque :

« On m’a vendu de la merde comme si c’était de l’or ».

Le problème qui apparaît ici n’est pas tant la tâche prescrite que le fait que cette tâche ingrate n’est pas énoncée clairement. Les assistants d’éducation veulent contribuer à l’éducation mais pas comme l’institution l’entend.

Mais qu’entend l’institution scolaire par éducation ? C’est ce que Ardoino et Berger nous expliquent : « En fait, l’école méprise toujours quelque peu l’éducation, à tout le moins en ravalant celle-ci à l’accessoire, à la périphérie, en lui confiant des missions « correctrices ou subalternes », d’ordre domestique, du type de la propreté, de la politesse et, à la limite, du « civisme », ou des loisirs. Ainsi se prolonge en pratique « l’esprit de discipline » mais ce sont en même temps des sources de savoirs, de connaissances et d’expériences qui se trouvent de la sorte ignorées, refoulées ou simplement minimisées. » [8]

Aed : ton point de vue sur l’éducation on s’en fout !!

C’est donc dans cet écart entre les attentes de l’institution et les valeurs personnelles des assistants d’éducation que la souffrance va prendre corps. En effet la souffrance va émerger :

  • par une dévalorisation du libre arbitre
  • par une dévalorisation de la conscience d’adulte
  • par une dévalorisation de la capacité de réflexion des assistants d’éducation.

Voilà on y est ! Les assistants d’éducation sont en fait des assistants d’instruction. Ils sont censés mettre les élèves au pas ! Ce n’est pas compliqué, bon sang !

Donc en tant qu’assistant d’éducation, tu as le droit de dire : " j’aimerais bien organiser un atelier de danse" mais tu n’as pas le droit de dire : "je ne suis pas certaine que punir à tour de bras soit une solution".

Tu as aussi le devoir de restreindre les élèves dans leurs mouvements et leurs paroles sans jamais dire que tu trouves, quand même, que l’institution exerce une violence symbolique certaine.

Tu as quand même le droit de penser que le comportement de certains élèves peut être révélateur de cette violence symbolique, mais tu as encore et surtout le devoir de te taire.

Ce que j’essaie de dire ici c’est que, tant que ne sera pas dénoncée ni mise à mal, cette suprématie totalitaire de l’instruction sur l’éducation (punitions, autorité, surveillance) camouflée derrière des valeurs éducatives (écoute, communication non violente, accompagnement, patati patata, "gnagnagnagna" vous aurez reconnu la citation ! ), même un CDI n’y pourra rien changer ! Pardon, je relativise cette dernière phrase car ce qui changera, c’est que :

Les assistants d’éducation auront le droit de fermer leur clapet-de-petits-branleurs-utopistes-déconnectés mais sur une durée indéterminée !

Mais alors que demander ? Qu’attendre ?

C’est pour cela que cette question de la CDI-sation ne peut-être l’unique centre de nos revendications. Elle ne peut être le fer de lance de notre réflexion et de notre interrogation du travail que l’on souhaite mettre en oeuvre.
À mon sens, cette question ne peut-être qu’un prétexte pour revendiquer une éducation plus humaine, tant pour les élèves que pour les personnels (précaires ou non d’ailleurs). Ainsi elle ne peut-être qu’un prétexte à la remise en cause d’un système.

En effet, une éducation plus humaine nécessitera, tout d’abord, de refuser de parvenir aux fins de soi, comme Albert Thierry le théorise mais surtout le pratique. Parvenir aux fins de soi, ici, serait de se contenter de demander un CDI coûte que coûte, en pensant changer le monde une fois la revendication obtenue.
Alors que refuser de parvenir devra être de refuser de participer à cette comédie qui fait du CDI le Saint Graal. Et franchement, qu’attendre d’une Education Nationale, sous un gouvernement se revendiquant de gauche mais appliquant des politiques de droite ?

À part que ce gouvernement ne se revendique comme se rapprochant des valeurs pédagogiques de Meirieu ou de Dubet alors qu’au fond ils sont des Brighelli en puissance !!

La résistance c’est du long terme et c’est ici que tout commence

Demandons un CDI, certes ! Mais n’attendons pas que cela se produise.

Commençons à résister dans nos établissements.
Tu ne veux pas punir, et bien ne punis pas !
Expliquons à nos collègues notre point de vue !
Faisons leur comprendre qu’avant d’être les pions d’un CPE ou d’un chef d’établissement, nous sommes les pions d’une instruction nationale qui vise le maintien d’inégalités et de ce qu’ils appellent l’ordre républicain.
Certains de nos collègues sont des gros con-vaincus ou des pessimistes ? Pas grave, ce n’est pas avec eux que l’on changera les choses ! Mais certains collègues ont besoin de plus pour se joindre à nous, et ce n’est pas parce qu’au premier abord, ils sembleraient réticents qu’ils ne changeront pas d’avis. Parlons-leur !

J’espère que vous l’aurez bien compris, je ne remets pas en cause une mobilisation en vue d’un changement statutaire. Loin de là ! Mais en demandant seulement cela, nous faisons leur jeu.

En mettant en place des résistances quotidiennes sur nos terrains, au pire nous n’obtiendrons rien de plus, au mieux nous serons enfin les révélateurs des dysfonctionnements d’un système qui fonce droit dans le mur, en regardant dans le rétroviseur pour se rassurer...

Pour résister à cette souffrance institutionnelle quotidienne, il nous faudra faire plus que des grèves sporadiques, ils nous faudra nous acharner à montrer que ce que nous demandons ce n’est pas seulement un post moins précaire ! Ce que nous voulons c’est aussi montrer que le système scolaire français est un système éducatif aberrant. Or en tant qu’acteurs quotidiens nos observations et réflexions sont cohérentes. Nous méritons d’être entendus !

Notes

[2Direction des services départementaux de l’Éducation nationale

[8Ardoino Jacques, Berger Guy, « Forme scolaire ou processus éducatif : opposition et/ou complémentarité », Nouvelle revue de psychosociologie, 1/2010 (n° 9), p. 121-129.

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