Récit de la longue journée du 1er décembre 2018 à Paris.

Encore un récit de la journée insurrectionnelle du 1er décembre à Paris, ou comment déborde(r) un dispositif.

Avant de raconter je voudrais préciser une chose. Il est difficile quand on rend compte d’une journée impliquant des moments de violence de ne pas se focaliser sur cette violence du fait de l’attrait spectaculaire qu’elle exerce. Au cours de cette journée, il y a eu 1000 fois plus de moments de rencontres où une personne en a rejoint une autre et lui a demandé « et toi tu viens d’où ? – nous on arrive de Valence et vous ? » et où une conversation s’est engagée ; de moments où une voiture est passée en agitant un gilet jaune et en disant « continuez comme ça courage ! » (c’était en fait systématique) avant de partir en klaxonnant avec un grand sourire ; que de moments où des grenades ont explosé (pourtant beaucoup de grenades ont explosé).

Je raconte ici en me concentrant sur l’aspect tactique des choses parce qu’il y avait, de mon point de vue, un côté euphorisant après des années de manifestations encadrées par des cordons de police étouffants, de voir le dispositif à ce point débordé ; et de sentir dans l’air un tel parfum insurrectionnel. Mais, comme les vidéos de gilets jaunes chargeant des lignes de CRS peuvent avoir ce même effet libérateur, elles ont aussi pour effet secondaire de donner l’impression qu’il faudrait forcément être prêt à jeter des pavés ou à recevoir des nuées de gaz lacrymogène sur la gueule pour pouvoir se rendre aux rassemblements.

Sans chercher à réhabiliter le concept de « casseurs » et à séparer bon.ne.s et mauvais.e.s manifestant.e.s (comme cela a été dit, à part les incendies d’immeubles où globalement tout le monde est conscient de la connerie de la chose, les autres actes de « casse » de banques ou autres étaient accueillis par des vivats ; et plus personne ne cherchait à défendre le pacifisme face aux attaques de la police, j’y reviendrai) ; il est clair que tout le monde (moi le premier) n’est pas toujours prêt à riposter physiquement aux agressions policières. Le dispositif policier a été débordé autant grâce à toutes les personnes qui, cherchant à se tenir à l’écart des gaz lacrymogènes, reculaient loin du cordon de CRS et de fait se retrouvaient au milieu des routes dont elles paralysaient la circulation, ce qui est essentiel pour ralentir les convois de fourgons de police et les empêcher de se rendre trop rapidement d’un point A à un point B (puisque comme on sait le but de ce déplacement est d’aller tabasser nos ami.e.s en train de manifester dans une autre partie de la ville), que par les personnes empêchant physiquement les CRS de nous disperser. Le mouvement des gilets jaunes devra son caractère révolutionnaire autant à la détermination physique de certain.e.s membres que de notre capacité à discuter et élaborer (ce qui implique aussi d’apprendre des autres et non se voir comme l’avant-garde) des revendications, en excluant par exemple celles racistes concernant l’application du droit d’asile.

Il est donc tout aussi nécessaire d’avoir des personnes prêtes à se mettre physiquement en danger que des personnes préférant rester à l’arrière, prenant ainsi le temps de discuter, d’échanger, et éventuellement de bloquer les routes. Il y a de la place pour tout le monde et ce qui a fait le débordement est beaucoup plus la présence massive qu’une quelconque aptitude physique ou stratégique : concrètement, même en première ligne et contrairement au black bloc, on reculait de 200m en hurlant et rigolant à chaque charge et salve de lacrymo, mais puisque le dispositif avait été complètement débordé ça n’avait plus aucune importance. Il y a parfaitement moyen de venir tout en ne prenant aucun risque. Les images omniprésentes de charges, d’explosions, d’affrontements sont juste là pour faire peur et elles masquent mal la diversité des personnes présentes, jeunes ou vieilles, déters ou pas, hommes ou femmes (j’écris tout ça sans lien, il y avait des vieilles femmes beaucoup plus déters que moi jeune homme).

Enfin malgré le caractère relou et hasardeux de la chose, j’utiliserai quelques catégories sociologiques (genrées, raciales, sociales) pour mettre à mal une certaine image du mouvement ; étant donné que la plupart de mes camarades y compris « militant.e.s » se sont foutu de ma gueule et du fait que j’allais me retrouver à manifester aux côtés de vieux hommes blancs campagnards fachos, ce qui est loin d’avoir été le cas.

On se souvient d’un article écrit à la veille du 1er mai 2018 et de l’annonce que la manifestation se déroulerait dans une nasse géante et qui se concluait ainsi :

« Croit-on vraiment que, pour « gérer les foules », il soit assez de les faire disparaître ? Ne voit-on pas qu’en n’autorisant de manifester qu’au sein d’une nasse, on prend le risque d’étendre à toute la ville la zone d’un chaos qu’on aura plus de mal encore à contrôler ? Ne réalise-t-on pas qu’en tentant de proscrire de manifestation ceux que l’on identifie comme les « gêneurs », on ne fait qu’accroître leur colère ? Ne comprend-on pas qu’en se raidissant, on se rend certes plus cassant, mais aussi plus cassable ? »

Pour des raisons complexes que je ne prétends pas analyser ici, le débordement général n’était pas vraiment arrivé. C’est pourtant exactement ce qu’il s’est passé le 1er décembre, où les Champs Élysées étaient intégralement sécurisés par une nasse de plusieurs milliers de policiers et gendarmes.

Acte I : comment deborde(r) un dispositif

J’arrive à proximité d’un de ces checkpoints vers 10h30, l’hélico tourne déjà et des gaz s’élèvent de la zone. J’ai un peu la flemme de me faire fouiller, alors je choisis de marcher le long d’une rue parallèle aux Champs. Rapidement je rejoins 5, puis 10 gilets jaunes. Tout le monde débarque d’en dehors de Paris, je suis le seul local (et encore, de fraîche date), on a aucune idée de par où on pourrait passer, des gens sont montés de Valence, de Marseille, de Rennes, de partout. Un passant nous dit bonjour, quelqu’un relève que ça fait plaisir parce que la condescendance des Parisiens est assez imbuvable, et c’est vrai qu’on regarde les gilets jaunes comme des bêtes de foire dans la rue. A ce moment là de la journée, je suis surtout avec des gens de 25-50 ans, surtout blanc.he.s, plutôt artisans et ouvrier.ère.s d’après les conversations et les physiques plutôt massifs de certaines personnes (je précise car ça a beaucoup évolué dans la journée).

Le gilet jaune est une idée de génie : plus on marche dans la rue, et plus on est rejoints par des groupes tout aussi égarés. Personne n’a l’air de savoir si l’accès aux Champs est bloqué ou s’il faut se faire fouiller, donc on continue à marcher, cette fois en direction de l’Arc de Triomphe. Des groupes de 50 rejoignent des groupes de 50, puis on est déjà 400, on passe dans une petite rue et sur notre gauche à chaque intersection des groupes de CRS menaçants prêts à charger bloquent les accès, quelqu’un hasarde un timide « CRS avec nous » et tout le monde répond « mais t’as bien vu la semaine dernière c’est des traîtres dis pas ça », ils agitent leurs gazeuses dans notre direction et nous toisent avec leurs sourires goguenards mais bizarrement ne chargent pas ce qui ressemble déjà à une manif sauvage ; un type de 2 mètres avec des gants coqués trépigne « oh les bleus je vais me les faire », tout le monde a l’air très remonté après la violence de la semaine passée.

On arrive par une rue, et par la rue d’en face et celle de gauche deux autres groupes de 400 personnes chacun se profilent ; on leur crie « hé ho nos copains gilets jaunes » et on se rejoint dans une bonne ambiance, il y a un côté fourmillant/World War Z assez marrant, on arrive à plusieurs milliers sur une grande avenue face à un dispositif policier qui est encore très loin et qui bloque l’accès à l’Arc de Triomphe. Il y a déjà plusieurs centaines de gilets jaunes qui leur font face à plus ou moins grande distance. Ceux qui le veulent et le peuvent choisissent de s’approcher car il y a déjà quelques gaz, de nombreuses personnes se tiennent à bonne distance, papotent. L’entrée vers l’Arc est barricadée par des dizaines de fourgons de gendarmes qui forment une barricade, avec des petits soldats en armure dans les interstices : je ne sais pas si c’est le manque d’effectifs qui les pousse à cette stratégie un peu moyenâgeuse du créneau, mais on est loin des beaux cordons ou des grilles antiémeutes bien alignées.

C’est globalement très calme pendant un long moment, un face à face patient où à un moment les gendarmes font leur sommation « obéissance à la loi, dispersez-vous », une meuf leur gueule « c’est pas une manifestation c’est une révolution connards ! », quelques salves de gaz tirées ; ça reste environ une heure statique mais ma curiosité me pousse vers l’artère d’à côté où de nombreuses explosions se font entendre.

Je fais une petite ellipse sur cette rue où la situation est très confuse, il y a énormément de monde et une foule très compacte, de nombreuses bouches d’égout où les lacrymos sont immédiatement jetées ce qui fait qu’elles ne durent jamais plus de quelques secondes malgré les grappes qui tombent toutes les 3 minutes, et donc personne ne se disperse. La foule est prise en sandwich entre un cordon qui barre l’accès à l’Arc, puis une foule compacte d’environ 3000 personnes, puis un nouveau cordon de CRS qui au fur et à mesure presse par l’arrière : je précise car c’est le seul moment de la journée où un semblant de début de nasse se profilera (et encore il reste toutes les rues perpendiculaires de part et d’autres pour s’enfuir) ; tout le reste de la journée il y aura juste des cordons épars protégeant des rues stratégiques, par exemple l’Élysée ; mais jamais aucun début de nasse possible étant donné que tout le monde ou presque a refusé de rentrer dans le piège géant tendu par la préfecture.

Après un feu d’artifice d’explosions et de lacrymos à 13h12 (je regarde l’heure pile à ce moment), et alors que la pression s’accentue un peu, on est tout un groupe à prendre une rue perpendiculaire pour sortir du sandwich et le contourner, et à aller se positionner de l’autre côté de la ligne qui ferme le sandwich. En fait, 200 mètres plus bas, sur la même rue il y a encore un autre face à face à une intersection, avec des charges et des contre-charges très violentes et des explosions, et un cordon qui ne défend rien d’autre qu’une rue avec rien derrière, toutes les intersections autour sont libres et il y a des groupes de gilets jaunes qui marchent, rigolent, vont s’acheter à manger : le dispositif en gruyère de la préfecture fait qu’autour des Champs des scènes de guérilla côtoient des moments complètement paisibles, et l’unique hélico peine à faire des aller-retours entre les différentes zones de la capitale pour coordonner un minimum le mouvement des troupes au sol, qui se positionnent sans aucune cohérence perceptible.

Une fois qu’il est clair que la question de l’Arc de Triomphe est secondaire puisque la colère a débordé toutes les rues alentour (j’ai mis le « r » de déborder entre parenthèses car c’est davantage la police qui, en chargeant encore et toujours, a fait déborder les rassemblements tout au long de la journée, comme une tâche qu’on essaie d’effacer mais qui ne fait que s’étaler quand on la frotte), on part en groupe vers l’Élysée je crois (notre avantage stratégique majeur de la journée aura sans doute été que personne ne connaissait la ville ou le quartier, et donc on a passé la journée à dire qu’on allait ici ou là sans jamais y arriver, mais le gilet jaune faisait qu’on finissait toujours par se retrouver et être ensemble quelque part). C’est à ce moment que commence la phase « pousse-pousse ».

Acte II : pousse-pousse

Après un chemin en groupe dans des rues que je ne connais pas, où on passe devant un hôtel très chic devant lequel des bourgeois.e.s discutent et l’une d’elle dit « oh yes I moove around » et tout le monde reprend en cœur « oh yes me too I moove aroundeuuuuh », qui nous regardent interloqués (il y a une sororité-fraternité née de la conscience partagée du caractère particulier de ce qui est en train de naître qui fait que je me sens un peu comme un membre des brigades dans les rues de Barcelone, même si j’ai du mal à savoir si mes camarades sont le poum les stals ou les franquistes ; seul l’avenir nous le dira), on arrive dans une nouvelle rue ou une ligne de gilets jaunes fait face à une ligne de policiers (à vrai dire on se tient tellement loin d’eux que je ne saurais même pas dire s’il s’agit de CRS ou de gendarmes).

À partir de là commence un très lent poussage qui va nous conduire jusqu’à la place Saint-Augustin où l’on rejoindra un très gros groupe qui bloque déjà sur place. Pour le moment, on doit être 1500 personnes à faire face à une ligne très distante, qui régulièrement tire une salve de lacrymos, charge sur 50 mètres en sifflant, tout le monde court en hurlant : je précise car c’est n’est vraiment pas notre force offensive qui a fait ici la lenteur de leur progression. Tout le monde est très content d’être ensemble, la population est plus hétérogène que le matin, à cet endroit il y a pas mal aussi de « jeunes de quartier », à l’occasion un container est jeté par terre, quelqu’un renverse un sac poubelle et un autre lui dit « mets-y le feu mets-y le feu » et l’autre galère parce que sa main tremble (alors qu’on est vraiment à 400m des CRS, c’est pour bien souligner que c’est tout sauf des « professionnels du désordre » – s’ils existent – à qui on à affaire ici), les barricades sont dérisoires, des gens prennent des bouteilles en main mais ne les jettent pas.

Des banques sont à portée de main, elles voient certes leurs vitrines se faire éclater et des tags les recouvrir pour rappeler que les banquiers sont des voleurs et les CRS des traîtres, mais les CRS sont beaucoup trop loin pour intervenir : tout aurait pu être incendié et saccagé à l’intérieur sans qu’il ne se passe rien. Personne ne s’en préoccupe trop pour le moment, on fait connaissance, je profite juste du plaisir de voir des visages complètement différents de ceux vus et revus en manifs, et pourtant la même rage qui nous anime (même si ce n’est évidemment pas un critère politique suffisant). Il y a des très jeunes, qui préparent des bouteilles, un gosse qui se rapproche puis fuit à chaque charge en riant sur une trottinette électrique.

La lenteur de la poussée est surprenante, mais je pense que c’est que la ligne doit avancer depuis les Champs en se coordonnant avec les lignes de toutes les rues parallèles pour ne pas être encore plus un gruyère et ne pas laisser des trous trop béants qui permettraient de rejoindre les Champs si leurs lignes se disloquaient.

Au fur et à mesure de la poussée de plus en plus de gens nous rejoignent, les barricades sont de plus en plus massives et enflammées, le fait que de nombreuses personnes fassent des snaps et vidéos ajoute à l’effet boule de neige, beaucoup de gens sont très chauds et hurlent à leurs contacts en vidéo "c’est la révolution ok ? ce soir on brûle tout", etc. ; des disputes éclatent autour des camions de pompiers qui circulent dans tous les sens depuis le début de la journée et qui au départ se faisaient applaudir sur leur passage, mais qui maintenant qu’on a compris qu’ils venaient éteindre nos barricades se font repousser gentiment.

Dans un moment surréaliste, 15 fourgons de police sirènes hurlantes sortis de nulle part foncent sur la foule à 60km/h et esquivent de peu une barricade, ils manquent d’écraser un mec qui glisse en voulant se mettre sur le côté de la route sans que nous n’ayons le temps de riposter. La même scène se reproduit une demi-heure plus tard, entretemps nous avons été rejoints je crois par un groupe assez important de supporters de foot car des chants se font entendre, mais cette fois quand les 15 fourgons déboulent d’une petite ruelle ils reçoivent une avalanche de pavés qui fait qu’ils sont contraints de faire marche arrière dans le plus grand désordre, et de repartir d’où ils étaient venus.
Il y a certes dans le lot quelques drapeaux français, notamment parmi le groupe dont j’ai l’impression qu’ils sont des supporters. Comme cela a déjà été écrit je crois qu’il s’agit davantage d’une image populaire de « quand on fait la révolution on a un drapeau et on chante la Marseillaise », ce que tendrait à confirmer le fait que les paroles se limitent le plus souvent à « aux armes, citoyens, formez, vos bataillons » voire à « aux armes ». Cela dépend sûrement des personnes sur place. Le fait que de très nombreuses personnes l’après-midi et le soir qui autour de moi arboraient des drapeaux étaient non-Blanches me met encore plus mal à l’aise quant au fait de conclure à des fachos (même si vous me direz que ça n’empêche pas d’être nationaliste, etc.)

On est doucement repoussés jusqu’à la Place Saint-Augustin. A noter donc qu’avec cette très lente poussée toutes les rues perpendiculaires sont durablement bloquées, notamment par les barricades laissées ici et là ; d’où l’idée de tâche évoquée plus haut.

Sur la place je crois qu’on a fusionné avec le cortège de l’une ou l’autre des manifs organisées car je revois quelques-uns des gauchistes habituels (coucou !), il y a beaucoup beaucoup de monde sur ce croisement stratégique. La foule est très hétéroclite, des barricades sont construites pour bloquer la rue et face à la police à cheval qui organise une charge à quatre avant de renoncer, puis à 10 avant de renoncer de nouveau et se tenir à bonne distance, face à la détermination qu’ils rencontrent. Une rue proche menant apparemment à l’Élysée est gardée, sans que les CRS qui la gardent ne s’en éloignent une seconde pour aller seconder leurs confrères qui galèrent à repousser la foule. Les personnes qui tiennent la police à distance sont nombreuses et déterminées et, encore une fois, il y a aussi possibilité de se tenir à distance et de bloquer la route puisqu’il n’y a qu’une seule ligne qui fait face à plusieurs milliers de personnes, tardivement rejointe par une deuxième qui apparaît sur une rue voisine après une heure d’affrontements (ce qui laisse 4 rues pour s’échapper).

Pendant ce temps-là des gens, aussi bien des antifas que des jeunes « de quartier » ou dont je ne saurais pas trop dire jeunes de quoi ils sont ni s’ils et elles sont jeunes, éclatent toutes les banques des alentours (quand je dis qu’il y avait tout le temps pour ça tellement les CRS n’avaient aucune prise, c’est que la BNP a carrément été démarbrée petits morceaux par petits morceaux, sans outil et sous les vivats de la foule, sans que personne ne soit en mesure d’intervenir). Le feu timidement allumé dans le distributeur a là encore été éteint par quelques personnes (prouvant là-encore que si des gens avaient voulu allumer une banque et un immeuble avec, ce n’est certainement pas la police qui l’aurait empêché).

Boulevard Haussman

Au bout d’un certain temps on recule dans une petite rue où là encore des dizaines de barricades beaucoup plus grosses que tout à l’heure sont enflammées (et un autre incendie d’immeuble est évité par un cracheur d’eau avec les skills de carapuce) ; la nuit tombe.

Acte III : insurrection

Jusqu’alors, pour une raison ou pour une autre, il y avait encore assez peu de voitures malgré le débordement du dispositif et l’étalement de la tâche sur des centaines de mètres. Il y avait encore le sens qu’on était globalement vers le périmètre de la manif et il y avait assez peu de passants et de voitures autour. Le reste de la soirée et les 3 heures à venir sont un zbeul général au milieu des gens en train de faire leurs courses de Noël.

Le raconter n’aurait pas forcément de sens étant donné que le débordement ayant été consommé, l’intérêt tactique présenté par les lignes qui précèdent (si limité soit-il puisqu’elle ne visaient qu’à raconter un débordement) est encore plus limité.

Il suffira de dire que tout ensuite est devenu une joyeuse course au milieu des lumières de Noël des Grands Magasins et des gens paniqués qui, ce matin encore, nous regardaient comme des bêtes de foire et qui maintenant s’enferment à triple-tour derrière les vitres des commerces dont on abaisse précipitamment les grilles en métal, tout le monde a l’air de croire que l’heure de la guillotine a sonné, c’est le seul moment de la journée où je me retrouve à moins de 20 mètres d’un policier alors que nous sommes brièvement talonnés par la BAC (?) qui rapidement s’évanouit dans la nature ; partout autour des brasiers et des nuages de fumée massifs, des camions de pompier dans tous les sens ; comme ça a déjà été raconté ailleurs, une joyeuse troupe d’antifas et de « jeunes de quartier » qui part pour plus de 3 heures sans rencontrer un seul policier, Saint-Lazare, Strasbourg-Saint-Denis, Chatelet, Hôtel de Ville ; « anticapitalistes » et « la rue elle est à qui » a une autre saveur quand le Palais de la Bourse ne doit sa survie qu’au fait que les sapins qui auraient pu le libérer de sa triste existence appartenaient à un petit vendeur qui se serait trouvé dans la merde si son stock avait brûlé.

Du point de vue d’où je me trouvais, il y a eu un moment, suspendu dans le temps, juste après la place Saint-Augustin et pendant quelques heures, juste avant que la plupart des gens qui étaient venus de loin ne doivent rentrer chez eux, où la question de si l’insurrection était pour ce soir et tant pis si on dort dehors semblait à un point de bascule. Puis le destin a décidé qu’elle ne devait avoir lieu que la semaine prochaine, le temps pour les gauchistes de préparer un vrai programme décidant de leur place dans le mouvement. A nous de nous organiser d’ici-là !

Un autre ami

Note

Photos du collectif Lameute !

Localisation : Paris 8e

À lire également...