Gilets jaunes et théorie #1 Thèses provisoires sur l’interclassisme dans le moment populiste

Ce texte se propose, en partant de la théorie de la communisation, de revoir les bases théoriques permettant une lecture du mouvement en cours. Il y est question d’interclassisme, de populisme et de la détermination des luttes dans la période actuelle.

On essaie d’y définir les questions que pose ce mouvement, plus que d’y donner des réponses.
On avance cependant l’hypothèse selon laquelle c’est le prolétariat qui agit à l’intérieur de ce mouvement pour lui donner sa puissance et son caractère déstabilisateur.

Extrait :

Dans le mouvement des Gilets jaunes, le rapport anti-hiérarchique à la lutte, la tendance à l’hyper-localisme qui n’en constitue pas moins une sorte de maillage commun du territoire, l’appropriation collective par les individus de leurs propres pratiques de lutte ont été manifestes.
De même il est manifeste que ce mouvement d’automobilistes et de contribuables en colère est devenu en de nombreux endroits un mouvement de précaires et de travailleurs pauvres. Les explosions émeutières, les pillages, les attaques de bâtiments publics sont à plusieurs reprises venus apporter un contrepoint plutôt étrange au discours « citoyen » du mouvement.

Ce mouvement a aussi montré comment un mouvement pouvait chercher et trouver sa propre cohérence et sa propre efficacité, en visant essentiellement et obstinément, voire aveuglément, à se poursuivre. Il n’a pas posé la question de la société, ni posé la « question sociale », mais a désigné la société comme le lieu de la question, et ce à partir de la société elle-même. Les prolétaires ne se sont certes pas « tournés contre leur appartenance de classe comme limite », mais l’irruption de couches inférieures du prolétariat a de manière interne bloqué l’émergence de revendications qui auraient pu signer un véritable interclassisme populiste, c’est-à-dire de revendications pouvant marquer l’union entre les franges inférieures des classes moyennes et les segments encore stables du prolétariat, sous l’égide du petit patronat.
En ce sens, le prolétariat n’a pas fait ce qu’on attendait de lui dans cette lutte, il n’a pas participé à la résolution populiste de la « question sociale ».

Si cette déstabilisation n’est jamais parvenue à créer une rupture nette avec les fondements populistes de ce mouvement, qui demeure un cadre d’ensemble de la lutte, peut-être parce que répondant à la nécessité intérieure de sa poursuite, elle a été bien réelle, à plusieurs moments de la lutte. C’est ce qui a fait que le mouvement des Gilets jaunes n’a été ni un Pegida à la française, ni un mouvement des Forconi, et qu’il a dans l’ensemble évité la plupart des tares les plus criantes du populisme, ce à quoi il avait pourtant de nettes prédispositions."

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