L’organisation libertaire à la lyonnaise

Rebellyon republie ce texte intéressant de Daniel Colson paru au milieu des années 1980 dans la revue IRL consacrée aux « Libertaires entre Saône et Rhône ». Colson écrira près de vingt ans plus tard « Le petit lexique philosophique de l’anarchisme, de Proudhon à Deleuze », directement inspiré de cette expérience pratique.

Le texte fait le point sur une structuration assez originale de ce mouvement à ce moment-là, à l’origine d’une forte implantation locale, encore visible aujourd’hui, ou qui inspire encore des structures comme la librairie La Gryffe, Rebellyon (ou Radio Canut mais dans une moindre mesure).

A l’heure où les groupes anti-autoritaires sont aussi divisés qu’impuissants, c’est une piste de réflexion pour repenser un mouvement, au moins à une échelle locale.

Réellement divers, non par le nombre de ses com­po­san­tes, mais par leurs dif­fé­ren­ces de nature, par leur carac­tère éclectique, non ordon­na­ble, non clas­sa­ble, le mou­ve­ment liber­taire lyon­nais a peu à peu appris à chacun de ses mili­tants à renon­cer à pro­je­ter sur lui, sur sa sur­face d’enre­gis­tre­ment, l’unité de ses concep­tions du moment. Au prix de nom­breux conflits, non seu­le­ment il a appris à chacun de nous à accep­ter que d’autres agis­sent et pen­sent autre­ment que soi, à ne pas vivre comme limite, manque ou frus­tra­tion les pra­ti­ques échappant à son propre ima­gi­naire, à sa propre inser­tion sociale, mais il nous a aussi appris à tirer satis­fac­tion et richesse de l’extrême diver­sité dans laquelle nous nous insé­rons, à faire confiance dans l’ajus­te­ment contra­dic­toire d’un espace qui, pour échapper au carac­tère for­cé­ment tota­li­taire du rêve propre à chacun de nous, fait écho, dans la réa­lité, au désir liber­taire que ce rêve pré­tend expri­mer.

Mieux, en inter­di­sant l’affron­te­ment meur­trier et idéo­ma­nia­que des por­teurs de rêve et d’utopie que nous sommes tous, les formes actuel­les du mou­ve­ment liber­taire à Lyon ten­dent peu à peu à nous libé­rer de notre propre et pseudo-« unité », de « femme », d’« homme », de « syn­di­ca­liste », de « manuel », d ’« intel­lec­tuel », etc. Aux contra­dic­tions néces­sai­res d’un espace mili­tant com­plexe et diver­si­fié peu­vent répon­dre les contra­dic­tions et les diver­si­tés qui nous cons­ti­tuent indi­vi­duel­le­ment. Cela non pas seu­le­ment en lais­sant à chacun le soin de reconnaî­tre une partie de lui-même dans la prise de posi­tion, la manière de voir et de sentir de telle ou telle struc­ture ou groupe, mais aussi en nous auto­ri­sant à par­ti­ci­per à la vie de plu­sieurs struc­tu­res ou grou­pes de telle façon que chacun puisse être enfin plu­sieurs, sui­vant le lieu et le moment.

Un espace formel qui fédère ces libertaires « non-organisés spécifiquement », la Coordination libertaire, montre la tentative de dépasser les différentes contradictions entre militants. Mais c’est surtout la pensée du même et du différent qui permet d’élaborer un espace à la fois de discussion, d’entraide et d’offensive.

Espace mili­tant ouver­te­ment divers et contra­dic­toire, la Coordination liber­taire cesse d’être une cita­delle assié­gée (ou conqué­rante) ne comp­tant que sur la force de ses struc­tu­res, sur son dra­peau, sur le nombre, la dis­ci­pline et la foi des bataillons qu’elle peut ali­gner dans les mani­fes­ta­tions.

Parce qu’elles tirent leur exis­tence de pro­blè­mes pro­pres, d’une ins­crip­tion sociale par­ti­cu­lière, les com­po­san­tes de la Coordination réper­cu­tent for­cé­ment ces pro­blè­mes dans les dis­cus­sions et les prises de posi­tion du mou­ve­ment, s’en font les repré­sen­tants et, un pied dedans, un pied dehors, peu­vent per­met­tre :

  • de tisser des liens avec l’exté­rieur ;
  • de contri­buer à l’élaboration d’une ana­lyse géné­rale qui tienne compte de la com­plexité et de la tota­lité de la réa­lité ;
  • de former des mili­tants habi­tués à confron­ter non plus seu­le­ment des idées, mais des maniè­res d’être et d’agir ;
  • de pré­fi­gu­rer en partie, bien mal mais mieux que ne le per­met­trait un simple regrou­pe­ment idéo­lo­gi­que, ce que pour­rait être un mou­ve­ment liber­taire de masse, uni­fiant toute la diver­sité du réel, des dif­fé­ren­tes luttes, des dif­fé­rents inté­rêts et aspi­ra­tions néces­sai­res à une trans­for­ma­tion radi­cale de la société.

L’article en entier, avec des compléments sur la Coordination libertaire, est à lire sur Rebellyon.

Mots-clefs : anarchisme

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