Quand la mairie de Paris abandonne des gamins à la rue

Début avril, 9 jeunes isolés étrangers (en France sans famille) « mis à l’abri » par la mairie de Paris ont été mis à la rue, avec pour tout accompagnement le numéro du 115 et l’adresse de la soupe populaire. Un rassemblement avait lieu jeudi soir pour protester contre ces expulsions.
Explications.

Le contexte : qui s’occupe des enfants ?

En France, tout enfant sans famille ou dont la famille ne peut s’occuper (cas de violences, etc.) doit être pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE), service social financé et piloté par les départements. Ceux-ci font appel à des foyers (gérés par des associations, financés par l’ASE) ou des familles d’accueil (financées aussi par l’ASE). Le but est de les accompagner vers leur majorité et leur autonomie en leur permettant de suivre la formation de leur choix et leur donnant les moyens matériels de mener à bien leur projet. Parce que les études continuent aujourd’hui bien souvent après l’âge de 18 ans, l’ASE peut continuer à prendre en charge des jeunes après cet âge, dans le cadre de « contrats jeunes majeurs », pouvant durer jusqu’à l’âge de 21 ans.
Depuis 2011, plusieurs départements (dont celui de Paris) se plaignent d’une augmentation qu’ils estiment disproportionnée du nombre de mineurs présents sur leur territoire et dont ils ont donc la charge. Plutôt que de demander une augmentation de leurs moyens d’accompagnement, ceux-ci préfèrent exclure ceux qu’ils estiment en trop. Le premier moyen étant de prétendre que ces jeunes n’en sont pas, qu’ils ont plus de 18 ans contrairement à ce qu’ils affirment (et que leur documents d’identité – passeport ou extrait d’acte de naissance confirment), et de cesser à ce titre de les prendre en charge. Le second moyen est de délocaliser les jeunes dans d’autres départements.

Comment Paris se débarrasse de ses jeunes

Actuellement, pour un mineur isolé étranger arrivant à Paris, la procédure commence par un passage à la plateforme d’accueil et d’orientation des mineurs isolés étrangers (Paomie, 127 boulevard de la Villette, géré par France Terre d’Asile) : un rapide entretien permet au travailleur social d’examiner les papiers d’identité du jeune et, à l’aide de quelques questions, d’estimer son âge. Aujourd’hui, les papiers sans photo d’identité sont présumés faux (c’est le cas des extraits d’acte de naissance), ce qui permet à FTDA d’estimer qu’environ 40 % des jeunes qui se présentent sont en fait majeur [source], auquel cas le jeune est simplement laissé à la rue. Quand FTDA estime le jeune mineur, l’ASE saisit le procureur qui prend une « ordonnance de placement provisoire », enjoignant l’ASE à le prendre en charge le temps que le mineur soit transféré vers un autre département, ou qu’il soit formellement confié à l’ASE parisienne. En pratique, aucun département n’en veut et les jeunes restent pour une durée indéfinie dans ce dispositif transitoire, consistant en une simple « mise à l’abri » : certains sont dans un foyer (5, rue Stendhal, géré par FTDA), d’autres sont logés à l’hôtel. Il leur est interdit de s’inscrire dans un collège ou un lycée pour y suivre une formation, ils sont orientés vers des formations courtes, privées et non diplômantes payées par l’ASE.
L’ASE se débarrasse de ces jeunes soit lorsqu’ils deviennent majeur (tout est fait pour qu’ils ne puissent pas solliciter de contrat jeune majeur), soit en demandant à un juge de le déclarer majeurs. Pour ceux-là comme pour ceux que la Paomie a considéré comme majeurs, des acteurs associatifs (Adjie) les aident à faire valoir leurs droits devant la justice (auprès du juge des enfants ou en faisant appel de précédentes décisions de justice).

Une volonté acharnée d’expulser les jeunes

En décembre dernier, l’ASE a voulu mettre à la rue 6 jeunes hébergés au « foyer » de la rue Stendhal [sur les conditions de vie et d’encadrement dans ce lieu, voir Mineurs isolés étrangers dans un lieu d’hébergement tenu par des Thénardier], sur la base de décisions de justice les déclarant majeurs (5 d’entre eux ont fait appel de cette décision). Une mobilisation associative (RESF, LDH, Adjie, Gisti, …) avait permis de faire reculer la mairie de Paris sur ce dossier : engagement avait été pris d’assurer leur hébergement jusqu’au mois de mai et de réaliser un accompagnement vers des foyers pour adultes. Les promesses n’ont pas survécu à la fin de la campagne électorale, puisque ces 6 jeunes ainsi que 3 autres ont été mis à la rue vendredi 4 et samedi 5 avril.
Au cri de « mineurs isolés étrangers, solidarité ! » se sont réunis une cinquantaine de militants ce jeudi soir pour réclamer :

  • Un accompagnement réel des jeunes pris en charge
  • La fin de la suspicion systématique des documents d’état-civil
  • La prise en charge jusqu’à la fin des recours
  • La signature d’un contrat jeune majeur pour ceux reconnus majeurs.

Note

La mobilisation se fait au sein des associations et dans les lycées où sont scolarisés certains de ces jeunes (avec l’appui du syndicat Fidl par exemple au lycée Dorian). Il se murmure qu’un cortège de jeunes isolés étrangers sera présent à la manifestation du samedi 12 avril, au départ de la place de la République à 14h00

Mots-clefs : logement social
Localisation : Paris

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