Sans « oui, mais... »

« Des saloperies de voitures de flics, il en crame depuis des décennies. Et il en cramera encore. C’est ainsi et c’est tant mieux. Pour ma part, j’espère qu’une bonne âme voudra bien se décider à me saccager, à me caillasser, à me caraméliser le moteur, à me désosser et me revendre en pièces détachées, à me faire flamber, à m’épargner le terrible poids d’autres arrestations... »

Face à la révolte qui s’empare régulièrement des rues depuis plus de deux mois, un vent mauvais d’arrestations et de lynchage médiatique est en train de souffler un peu plus fort pour tenter de calmer les incontrôlables de la contestation. La figure-repoussoir du moment, construite avec délice par les gestionnaires de l’ordre et alimentée à foison par les pompiers sociaux, est bien sûr celle du fameux « casseur ». Une figure mythique parfois redécoupée selon le contexte policier local en « anarchistes », « autonomes », « antifascistes », « ultra-gauchistes », « anarcho-autonomes », voire même ce bon vieux « anarcho-libertaires » qu’on croyait disparu depuis le CPE.
Interpellations d’avant-manifs, interdictions administratives, enquêtes express, perquisitions, contrôles judiciaires et incarcérations préventives ont ainsi déboulé à Nantes, Caen, Lyon, Rennes ou Paris pour enrichir une tambouille répressive déjà lourdingue lorsqu’elle se composait de notes blanches et d’instructions judiciaires, mais qui est devenue carrément indigeste depuis que l’État l’a agrémentée de mises en examen pour « association de malfaiteurs » (Rennes) et autres « tentative d’homicide volontaire » (Nantes, Paris). Si cela n’a rien d’étonnant dans une période où état d’urgence, guerre, contrôle et serrage de vis généralisés sont plus que jamais à l’ordre du jour, on peut néanmoins constater que ce n’est pas la peur du ridicule qui a étouffé journaflics et crapules politiques de tous bords ces derniers jours : « Daech de l’intérieur », « terroristes », « barbares » et « fascistes » ne sont que quelques uns des noms d’oiseaux qui ont volé derrière les micros pour défendre les familles des vitrines et un tas de ferraille bleu-blanc-rouge opportunément caramélisé.
Avec de tels tours de passe-passe linguistiques, on peut se demander comment le pouvoir qualifiera ses assassinats permanents de migrants aux frontières de la Méditerranée, ses bombardements « anti-terroristes » de villes entières en Syrie, ou tout simplement son empoisonnement nucléaire et industriel durables de la planète et de ses habitants. Le négligeable prix à payer pour le maintien de l’ordre des paradis de la démocratie marchande ? L’inévitable conséquence d’un monde régi par l’État et le capitalisme ?
Et puisqu’on en est aux mots et à leur sens vidé par le pouvoir afin de contenir et d’isoler une partie des révoltés de l’ensemble de la conflictualité sociale, disons les choses clairement : si la balayette d’un manifestant contre un CRS tentant de jouer au héros peut magiquement se transformer en une « tentative de meurtre » sous la plume d’un larbin de l’autorité, il y a fort à parier que le dictionnaire ne sera d’aucune utilité à ce dernier lorsqu’un sbire subira un accident du travail définitif, comme ce fut par exemple le cas lors d’une manifestation de chômeurs à Feriana (Kasserine, Tunisie) le 20 janvier dernier.

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Localisation : Paris

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