Un récit de la journée du 21 septembre à Paris

Le 21 septembre devait être une journée de convergence des luttes entre Gilets jaunes et écolos à Paris, elle aura surtout été une journée de confusion des genres et de clarification politique. Récit situé et partiel de cette journée en trois épisodes.

Premier épisode : 9h, place de la Madeleine ou l’impossible convergence

À l’appel de groupes écolos et Gilets jaunes, un rassemblement devait se tenir sur la place de la Madeleine. Interdit par la préfecture, ATTAC et Solidaires avaient maintenu cet appel qui devait permettre une rencontre entre écolos et Gilets jaunes. L’idée de convergence était à l’ordre du jour afin de ne pas reproduire l’épisode du 16 mars dernier où le cortège des écolos défilait tranquillement dans l’Est parisien tandis que les Gilets jaunes subissaient une sévère répression dans l’Ouest.

Néanmoins, tous les accès sont bloqués aux piétons et des fouilles systématiquement organisées par des groupes de flics. Mais la circulation des véhicules motorisés est, elle, maintenue, il ne faudrait pas entraver la liberté de circulation des petits rouages du capitalisme. Pour autant, il aurait été possible de dépasser les « forces de l’ordre » si les manifestant·e·s avaient été plus nombreux·ses. Un groupe formé d’une vingtaine de personnes a en effet permis, en occupant la police lors d’une fouille, à un petit nombre de personnes de passer en évitant le contrôle. Bloquée un peu plus loin, une banderole est confisquée. Le keuf, adepte de Minority Report, anticipe le délit de manifestation et précise à la personne qui portait la banderole qu’elle est chanceuse de ne pas être interpellée. On devrait presque le remercier… Là encore, il était néanmoins possible de dépasser le dispositif policier au regard de ses failles. Un camarade a ainsi pu passer par une rue adjacente et récupérer la banderole que le flic avait négligemment laissée sur le trottoir. Empêché·e·s d’accéder à la place de la Madeleine, les personnes présentes forment rapidement un cortège qui se dirige vers Saint-Lazare. À peine 10 minutes plus tard les voltigeurs arrivent, matraque en l’air et sourire jusqu’aux oreilles pour certains, et dispersent le rassemblement.

Le ton est donné, tout début de rassemblement sera systématiquement et violemment réprimé, la convergence ne pourra avoir lieu dans ce cadre. Qu’à cela ne tienne, nous nous dirigerons vers les Champs-Élysées !

Deuxième épisode : 11h, aux Champs-Élysées ou la confusion des genres

Autour des Champs-Élysées, les contrôles dits préventifs sont nombreux. Pour autant, il est encore possible de passer entre les mailles du filet, à l’image de ce camarade qui, lors d’une fouille, ouvre son sac contenant la banderole précédemment confisquée et peut continuer son chemin sans difficulté. En remontant les Champs, il faut jouer au chat et à la souris et déjouer les contrôles. Des petits groupes se retrouvent, se saluent, mais l’ambiance est étrange. Un groupe baisse la voix dès que nous nous approchons, et lorsque nous discutons avec des personnes croisées par hasard nous ne pouvons pas nous empêcher de nous demander s’il s’agit de flics ou de camarades sans arriver à faire taire ce flic intérieur qui nous inhibe et crée la suspicion. Pendant ce temps, la bourgeoisie continue à profiter tranquillement de son samedi. Même si elle ne peut déjeuner au Fouquet’s toujours couvert de sa carapace de métal, elle peut faire son shopping en Porsche sans éprouver ni la moindre honte ni la moindre inquiétude.

Autour de 11h30, les trottoirs du haut des Champs semblent se densifier. Des groupes de Gilets jaunes sans gilets jaunes se rassemblent. Situés un peu en arrière, proches des magasins, quatre ou cinq hommes se saluent et observent la scène. L’un d’eux a un brassard de police qui dépasse de la poche, un autre une oreillette. La BAC est bien présente, en civil, et se fond dans le paysage. Les événements se précipitent alors. D’abord les voltigeurs, stationnés au milieu de l’avenue, démarrent en trombe sous les huées des personnes présentes. L’un des bacqueux lance un chant militant : « Macron nous fait la guerre, et sa police aussi… » aussitôt repris par la foule. Il se retourne vers ses collègues goguenards et, semble-t-il, à l’aise. Le bacqueux continue et lance un nouveau slogan : « Paris, debout, soulève toi » repris également par les Gilets jaunes présent·e·s. Un camarade prend alors en photo le bacqueux afin de pouvoir l’identifier. Celui-ci s’en rend compte et demande agressivement à ce que la photo soit supprimée. Un camarade s’interpose et signale ouvertement que le type est un bacqueux. Plus agressif encore, celui-ci s’en prend alors physiquement au copain à plusieurs reprises. Pour convaincre les personnes alentour qu’il est bel et bien un Ggilet jaune, le bacqueux n’hésite pas à accuser le copain qui prend les photos d’être un keuf ou un membre du renseignement, et répète à envie qu’il est là tous les samedis depuis le début du mouvement. Et pour prouver sa bonne foi, il n’hésite pas non plus à ouvrir sa bouteille de whisky-coca pour faire sentir l’odeur d’alcool à qui le souhaite (comme si picoler sur son lieu de travail ne faisait pas partie des méthodes de la police…). C’est finalement son collègue qui intervient pour ramener au calme le bacqueux devenu trop agressif et qui était en train de se griller… Celui-ci conclut la scène par des menaces, « Prie pour que je ne te croise pas cet après-midi », adressées au copain qui s’était interposé. On retrouvera ce bacqueux en tête du cortège de la Marche pour le climat l’après-midi même, agressant quiconque prend des photos et incitant les personnes présentes à attaquer une ligne de flics présente à droite du parcours.

La confusion des genres est totale, car tandis que les flics se prennent pour des manifestants, les manifestant·e·s peuvent parfois se comporter comme des flics : suspicion généralisée, virilisme des slogans (les flics désignés par certains comme des « putes à Macron ») et des postures. Cette confusion des genres est au cœur des méthodes offensives des keufs, et en particulier de la BAC. Ces méthodes sont simples : chauffer à blanc les manifestant·e·s, faire monter la pression, inciter à l’action, quitte à menacer et à agresser verbalement et physiquement. Et ces méthodes sont éprouvées, car à peine les slogans lancés en haut des Champs que le rassemblement est dispersé à grand renfort de charges et de lacrymo. Ainsi non seulement la police détermine le niveau de violence, mais elle détermine également le lieu, l’heure et les modalités de l’affrontement. Bref, les règles du jeu nous sont imposées, les dés sont pipés et tant que nous accepterons ces règles, tant que nous ne prendrons pas nous-mêmes l’initiative d’imposer nos règles nous ne pourrons pas déborder les dispositifs de maintien de l’ordre. La suite de la matinée ne fera que le confirmer.

En effet, la matinée sur les Champs n’a été faite que de rassemblent éphémères et de charges policières. À cette occasion, les keufs n’ont pas hésité à mimer une parade fascisante en remontant les Champs au son de leur tonfa qui frappe les boucliers. Les voltigeurs n’ont pas non plus hésité à charger un groupe qui s’est retrouvé bloqué par des gendarmes mobiles placés dans une rue perpendiculaire aux Champs. Et tandis que les lacrymos lancées par ces derniers arrivent au milieu des voltigeurs, les manifestant·e·s parviennent à forcer la ligne de flics. Si parfois les actions ont ainsi pu être partiellement victorieuses, que ce soit en frappant dans les mains pour accompagner la musique militaire des tonfas ou en forçant une ligne de keuf, ces victoires laissent un goût amer. En effet, à chaque fois ces demi-victoires sont également des demi-défaites dans la mesure où ces actions s’inscrivent dans la mascarade policière parfaitement orchestrée. La confusion des genres est totale, il serait temps de clarifier la situation.

Troisième épisode : 14h, boulevard Saint-Michel ou la clarification politique

On s’attendait à une énième marche pour le climat avec ses slogans tièdes et ses grosses orgas qui dictent leur rythme et leurs chants. On s’attendait à une tranquille déambulation sous le soleil de fin d’été. Il n’en aura pas été ainsi. L’invitation lancée aux Gilets jaunes a été entendue. Dès le début de la marche, un cortège de tête se retrouve derrière des banderoles. Gilets jaunes, écolos et anticapitalistes forment alors un cortège hétéroclite et uni qui s’en prend aux symboles du capitalisme. Les vitrines des banques et des compagnies d’assurance éclatent en même temps que notre joie. La milice du capital est caillassée. Et quand celle-ci intervient pour protéger la banque, elle se retrouve encerclée par un bloc solidaire. Le groupe de keufs n’aura d’autre choix que de battre en retraite dans un nuage de lacrymo. Alors que la manif est abondamment gazée, qu’une banderole est visée par des grenades de désencerclement et que la confusion règne, il semble que les grosses orgas s’arrêtent de défiler. La distance entre la tête et le ventre mou du cortège se creuse. Mais jamais les policiers ne semblent en mesure de couper le cortège. La tête se replie, la jonction se fait.

Si la stratégie des Gilets jaunes faite de rassemblements spontanés et de blocages improvisés semblait rendre obsolète l’idée de cortège de tête, force est de constater que la pratique peut être remise au goût du jour lorsqu’un rassemblement hors d’un cortège est impossible comme c’était le cas ce 21 septembre. Seule l’imprévisibilité des stratégies semble ainsi à même de déborder les dispositifs policiers.

Pour autant, cette stratégie semble ne pas avoir été appréciée par une partie des organisateur·rice·s de la marche. Les hôtes ont ainsi été gêné·e·s par l’attitude irrévérencieuse des invité·e·s. Ainsi tandis que l’école des Mines, haut lieu de la nucléocratie se fait décorer par un joli « tu pues du nuke », le cortège recule. Ce n’est plus la stratégie des petits pas, mais celle des pas en arrière qui semble privilégiée. Et tandis que certain·e·s lancent des slogans appelant Macron à en finir avec l’inaction climatique d’autres préfèrent demander sa démission. Et tandis que les keufs continuent à déchaîner leur violence à grand coup de matraque, une militante, qui tourne le dos à une ligne de flic, ne trouve rien de plus urgent à faire que demander aux manifestant·e·s d’agir « sans haine et sans violence ». Si la situation peut sembler confuse, elle aura en fait permis une véritable clarification politique.

D’un côté, le rôle répressif et policier de certaines orgas qui était déjà visible est devenu évident. La condamnation par Greepeace France du black bloc est à ce titre éloquente et reprend de manière officielle ce qui a pu être entendu en manif de la part de militant·e·s d’ANV-COP 21 affirmant que « le black bloc et la police c’est la même chose ». Ainsi, en appelant les manifestant·e·s à quitter le cortège, Greenpeace s’est de fait positionnée en allié de la préfecture qui demandait aux personnes présentes de se désolidariser des groupes violents.

D’un autre côté, cette marche pour le climat qui a vu réapparaître la pratique du cortège de tête a été l’occasion de rencontres et d’alliances inédites. On a vu des Gilets jaunes, des Gilets noirs et des Gilets verts manifester ensemble, parfois dans la joie, parfois dans la colère. On a vu des solidarités se créer, des manifestant·e·s de différents horizons s’entraider, prendre soin les un·e·s des autres. Si des tensions entre manifestant·e·s ont parfois pu émerger et si le virilisme du cortège de tête a parfois repris le dessus, il a néanmoins été possible de créer des regroupements affinitaires et des alliances imprévisibles unies par des pratiques qui ont permis, dans une certaine mesure, de se protéger des violences d’État. De ce point de vue, la journée du 21 septembre a été moment de clarification des alliances possibles et des stratégies envisageables afin de détruire ce qui nous détruit.

Post-épisode : virée nocturne d’un militant entre Bastille et les Champs Élysées

Suite à l’occupation du pont de Tolbiac par des militants écolos et le départ des flics (qui devaient se faire chier autant que les gens sur le pont), une manif sauvage démarre sous la bénédiction de ANV-COP21 en direction de Bastille. L’arrivée se fera en musique et en discours « Changeons notre manière de consommer, arrêtez de manger du Nutella ! » On appréciera le message (et surtout, n’oubliez pas de pisser sous la douche…). Au bout d’une heure de musique, la police qui a nassé la place, invite les gens à rentrer chez eux. Pas de gaz et de tonfa pour les gentils écolos ce soir-là.

Pendant ce temps de l’autre côté de Paris, des groupes de Gilets jaunes sont retournés sur les Champs pour un baroud d’honneur. Les flics y sont en masse pour interpeller et contrôler tous groupes de plus de deux personnes un peu trop prolos/barbues. L’ambiance rappelle un peu celle de la matinée. Des chansons militantes se font entendre de part et d’autre de la place, les flics sont partout à tenter de nasser des groupes. Un SDF sur leur route se fait relever à coup de botte. Un couple de touristes étranger·ère·s se fait gazer à bout portant en plein visage. Les bleus sont en roue libre. Des rumeurs comme quoi les black blocs auraient prévu de venir plus tard dans la soirée sont entendues, ils seront attendus en vain. Les bourgeois sortent des restaus pour partir en boite. Des pétards explosent de temps en temps au milieu de l’avenue et des voitures qui continuent de circuler. La soirée se finira en fonçant dans le métro pour éviter une énième nasse. Les flics auront, comme le matin, empêché toute contestation par une violence aveugle et délirante.

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