Une réponse radicale à l’aide médicale à mourir au Canada | Aislinn Thomas

Mais comment se fait-il que les parlementaires cherchent à instaurer le droit de mourir par injection létale avant même de se préoccuper des conditions matérielles de vie des personnes handicapées ?

Aislinn Thomas est une artiste interdisciplinaire handicapée. Ses travaux récents explorent le potentiel créatif du handicap tout en s’opposant aux normes conventionnelles d’accessibilité.
Article paru sur Cabrioles

Note de Cabrioles : Dans le même temps où le gouvernement libéral-autoritaire d’Emmanuel Macron remets en cause la prise en charge des ALD (affections longues durées), et après des années à détruire minutieusement le système de santé et de protection sociale, ainsi qu’à bafouer les droit des personnes handicapées, celui-ci annonce l’instauration prochaine de l’accès au suicide assisté. La ministre “du Travail et de la Santé”, Catherine Vautrin, le présentant dès ses premières interventions médiatiques non plus seulement comme un recours dédié aux seules personnes en fin de vie mais dors et déjà “pour les malades les plus vulnérables”. Après plusieurs années où l’eugénisme pandémique des gouvernements capitalistes a été soutenue par tous les partis et la presse de gauche il est urgent de questionner en profondeur les implications du projet loi sur “l’aide à mourir” qui sera débattu ces prochains mois. Pour cela, et en complément de l’article qui suit, nous vous renvoyons au travail du Collectif Lutte et Handicaps pour l’Egalité et l’Emancipation, en anglais au Disability Visibility Project, et à la lecture de cette récente synthèse par Alexia Soyeux : L’euthanasie n’est pas de gauche, pourquoi j’ai changé d’avis sur l’euthanasie et le suicide assisté.

À mesure que le capitalisme produit du handicap de manière accélérée à travers les dommages et les catastrophes qu’il provoquent, celui-ci accroit dans le même temps la pression sur les vies des personnes handicapées, les sommants d’être productives ou de se voir réduite à la condition de jetables. Il est plus que temps de comprendre et de combattre la fonction structurelle du validisme au sein du système capitaliste.

En pleine pandémie, et en créant un faux effet d’urgence, le gouvernement fédéral canadien a adopté le projet de loi C-7, un amendement au code pénal qui élargit le régime d’aide médicale à mourir [AMM ; Au Canada l’acronyme utilisé est MAID pour ‘medical assistance in dying’] du pays. À l’origine, l’AMM devait être une alternative à une mort douloureuse. Elle est désormais disponible comme alternative à une vie douloureuse - si vous avez un handicap.

La législation sur l’aide médicale à mourir est en vigueur depuis 2016 et, dès le départ, elle a suscité des inquiétudes. Les militant·es antivalidistes et les Nations Unies ont signalé que la pratique de l’AMM constituait une menace pour le droit à la vie des personnes handicapées. Pourtant, le gouvernement canadien a choisi d’étendre encore l’AMM, en créant une voie spéciale vers une mort précoce pour les personnes handicapées, sans passer par l’examen parlementaire légalement obligatoire de l’AMM qui était censé commencer en juin 2020. Dans une récente déclaration publique, les Nations Unies ont mis en garde les pays contre la possibilité de recourir à la mort administrée par l’État sur la base du handicap, déclarant qu’"en aucun cas la loi ne devrait prévoir qu’une personne souffrant d’une maladie invalidante et qui n’est pas en train de mourir puisse prendre la décision raisonnée de mettre fin à sa vie avec l’aide de l’État". Dans une lettre détaillée adressée spécifiquement au gouvernement canadien, les Nations Unies ont souligné les multiples accords internationaux en matière de droits humains auxquels le projet de loi C-7 contrevient, accords dont le gouvernement canadien est signataire. Pourtant, au début du mois de février 2021, le Sénat a voté en faveur de l’élargissement du projet de loi C-7, en ciblant les personnes souffrant de troubles psychiatriques pour les inclure dans cette voie spéciale, et en utilisant le langage de l’accessibilité, des droits humains, de l’autonomie et du droit à l’autodétermination pour justifier ce projet de loi.

Les un·es après les autres, les sénateur·ices ont présenté comme des "obstacles" à l’accès à l’AMM les limites mises en place pour minimiser les conséquences dommageables du suicide assisté. De nombreux législateur·ices ont affirmé que la mort administrée par l’État serait un droit humain fondamental et qu’il serait discriminatoire d’en priver les personnes handicapées. Iels ont déclaré qu’il était nécessaire d’adopter rapidement ce projet de loi afin d’alléger les souffrances des personnes handicapées. Comme le fait remarquer Jonas-Sébastien Beaudry, "personne ne nie que le projet de loi C-7 ouvre l’accès au suicide médicalement assisté au nom du respect et de la compassion, mais nous devrions nous rappeler que l’oppression a pour habitude d’être présentée comme un avantage pour l’opprimé·e".

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